Chapitre 1 : le domaine de la comtesse AdR***
Quand vint pour la Comtesse AdR*** le temps de quitter son domaine elle décida d’y mettre bon ordre. Elle appela son intendante, Mme VHD***, qui, connaissant le caractère de la Comtesse, accourut.
La Comtesse lui dit : « Très chère, mes terres me causent bien du souci, j’ai de beaux domaines mais dispersés ainsi que de charmants lopins : je n’en veux plus qu’un. Et la production est bien trop variée, son coût en est exorbitant, optez pour la monoculture. Débrouillez-vous ».
Mme VHD*** était connue à la ronde pour sa voix douce et son esprit acariâtre ; hormis le soin qu’elle portait à ses chers rosiers elle avait toute ignorance de l’art de cultiver la terre. Elle fit venir auprès d’elle le sieur Q***, fieffé roublard, passé maître dans l’art de rouler dans la farine et bien sûr parfaitement ignare en agriculture. Un sobriquet lui était d’ailleurs attaché : sieur faux Q***.
Elle lui dit : « Monsieur, les terres de la Comtesse AdR*** lui causent bien du souci, elle a plein de terrains et n’en veut plus qu’un. Et la production est bien trop variée, son coût en est exorbitant, optons pour les pommes de terre. Débrouillons-nous. ». Q*** échafauda des plans extravagants, traça des schémas ébouriffants.
Les deux dames applaudirent des deux mains.
Chapitre 2 : la charrue, les bœufs et la chienlit
Quand vint le temps du labour et des semailles Mme VHD*** et sieur Q*** convoquèrent les métayers des principaux domaines. Ces derniers, de braves paysans, presque tous plein de bon sens, tiraient des domaines dont ils avaient la charge de jolis rendements, de sorte que les populations alentour n’avaient jamais connu disette et portaient beau teint. Mme VHD*** et sieur Q*** dirent aux métayers : « Désormais, vous ne cultiverez qu’un seul grand champ avec des patates. » Les métayers tentèrent de timides mises en garde : « Mais la population va se révolter !», « Nous allons épuiser la terre ! », « Le risque de famine est grand ! », « Le terrain, là, au milieu, ne nous appartient pas ! » mais, connaissant le caractère de Mme VHD*** et enivrés, assommés par la fallacieuse et pernicieuse rhétorique de Q***, bientôt se turent. Ce dernier sortit de sa poche un schéma, le déplia et leur dit : «Voici comment vous allez labourer, la méthode est nouvelle, il suffit de placer la charrue avant les bœufs ». Son schéma était suivi d’un charabia expliquant comment atteler les bœufs, transversalement ou non, à l’aide de bœufs chargés de la coordination.
Bien évidemment aucune terre ne put être labourée. Sur la mauvaise croûte laissée par l’hiver commença à pousser le chiendent et autres mauvaises herbes : la chienlit !
Chapitre 3 : la révolte des boeufs, l'inertie des métayers et le réveil de la population
Chaque jour les bœufs étaient transversalement coordonnés, chaque jour les attelages s’emberlificotaient , chaque jour, devant la charrue, poussait la chienlit. Les bœufs déprimèrent, nombreux furent ceux qui tombèrent malades, d’autres fuguèrent, les plus vaillants organisèrent la révolte.
Mais que faisaient donc les métayers ? Celui qui s’occupait du plus grand domaine eut la malchance d’être adoubé par Mme VHD*** et commença à maltraiter ses bœufs ; un autre, au contraire, leur donnait le fourrage réservé à l’hiver ; celui qui avait le plus d’amour pour la terre dont il s’occupait quitta, dégoûté, sa métairie ; un autre perdit beaucoup de bœufs, et pas des moindres ; tel autre perdit même sa charrue. Pris dans les rets du désir intraitable (je veux, je veux tout, tout de suite : un affect de nourrisson !) de la Comtesse AdR***, passés sous le joug de l’autoritarisme triste de Mme VHD*** et gavés par les salmigondis du bien nommé Faux Q*** les métayers se résignèrent.
La puissante révolte des bœufs finit par arriver jusqu’aux oreilles de Mme VHD*** et de la Comtesse AdR*** : elles l’ignorèrent, écouter des bœufs, vous n’y pensez pas ; voyant les champs à l’abandon la population commença à gronder : Faux Q*** déguerpit. Elles décidèrent alors de faire le tour du domaine, ce qui ne fit que flatter leur suffisance et les fortifier dans leur déni : à la vision des champs envahis par la chienlit elles s’exclamèrent en chœur : « Cela pousse, cela pousse ! » confondant la fleur du chiendent avec celle de la pomme de terre.
Chapitre 4 : à venir (et pour cause…)
On peut cependant imaginer plusieurs scenarii …
Une telle prose et un tel contenu sont dignes des contes les plus lus.
RépondreSupprimerBravissimo et merci pour cette échappée belle.
N'ayant pas votre talent, je ne me risque pas à développer le chapitre 4ème ! Sublîîîme.
RépondreSupprimerChapitre 4, version "tout est bien qui finit bien": Les métayers, fatigués d'entendre le peuple se lamenter et constatant que les boeufs refusaient catégoriquement de pousser la charrue, se tournèrent vers le duc d'à-côté. Celui-ci cultivait en effet un domaine très fertile sur des terres voisines. De son château, il considérait avec effarement la situation du domaine d'AdR. Il expliqua posément à AdR et Mme VHD comment elles auraient pu tirer de leurs champs et pointa les erreurs qu'elles avaient faites. La comtesse, vexée, se retrancha dans sa maison de campagne et emmena Mme VHD pour s'occuper de la roseraie.
RépondreSupprimerC'est alors que les métayers prirent les rênes et remirent la charrue là où elle doit être, à savoir derrière les boeufs.
Après une saison passée à enlever la chienlit et à tout replanter, le domaine produisit de somptueuses patates qu'on lui envia loin à la ronde.
Excellent
RépondreSupprimer... mais aussi des aubergines, des tomates, des salades, du fourage et des courgettes, car la DIVERSITE est mère de la réussite, et permet d'éviter la famine et l'appauvrissement des sols.
RépondreSupprimerOuarf ! Un conte... quelle brillante idée ! Voilà une stratégie imparable, une manière d'enseigner inattaquable. Seule la fable pourrait faire aussi bien...
RépondreSupprimerÀ nous, grossiers manants, les pommes de terre ? La perspective n'en est déjà guère alléchante, mais au vu du travail des métayers, il semble y avoir loin de la pomme aux lèvres...
Nous pourrions à bon droit nous interroger sur les ressources de la comtesse ! Quoi, est-ce digne pour une comtesse de ne manger que des pommes de terres ? Même en robe des champs, et à condition que les robes soient avec volants à froufrous et crinolines, les pommes de terre sont toujours là pour accompagner quelque bonne pintade apprêtée avec goût !
La comtesse était de toute évidence indigne de son titre de noblesse. Il est vrai qu'aux temps aujourd'hui, la hauteur de vue requise pour administrer un domaine s'est perdue, la capacité à gérer ses terres avec sagesse et prévision n'est plus de mise, tout un chacun veut sur l'heure ceuillir les fruits de l'arbre fraîchement planté.
Chacun ne s'occupe plus qu'à construire en son château une tour plus élevée que celle du baron son voisin...
Il est vrai que dans le cadre de cette restructuration nous sommes considérés comme des boeufs.
RépondreSupprimer"La réforme, oui; la chienlit, non."
RépondreSupprimerMot du général de Gaulle au moment des troubles de mai 1968...
Oui, le réveil des métayers, c'est ce qui pourrait nous arriver de mieux.
RépondreSupprimerSachons aussi rendre justice à Mmes MFB*** et MSB***, pour le mérite inestimable qui leur revient. De l'intendante, sans elles bien empêchée, elle sont les deux bras gauches :
RépondreSupprimer- l'une est agronome experte en patatologie (peut-être même a-t-elle inventé les pommes de terre) ;
- arpentage et logistique sont les spécialités de l'autre.
En lignes et en colonnes, en tableaux et diagrammes, elles démontrent que les boeufs, entravés et à rebours, ne vont ni droit, ni vers l'avant. C'est donc que, décidément, ils ne comprennent rien à ce que la comtesse, l'intendante et ses métayers leur expliquent.
Le monde, pour Mmes MFB*** et MSB***, est assez simple : la terre, qu'elles ne foulent plus depuis longtemps, n'est rien de plus que les mesures cadastrées qu'on en tire ; quant aux boeufs, leur réalité se limite aux tâches qu'on attend d'eux.
Et que dire pour l'heure du roi et des comtes voisins de la comtesse? Ils constatent que la chienlit risquent de s'étendre à tout le royaume et attendent avec impatience la fin juin, lorsque la comtesse sera forcée de remettre ses terres. Seront-elles mieux gérées?
RépondreSupprimerChapitre 4, version "le roi est un couard".
RépondreSupprimerLes boeufs, tout à leur révolte et étant toujours ignorés par le roi et les nobles en charge de ses comtés, s'adressèrent à des notables de la région. Ces derniers firent moult recommandations à Sa Majesté, lui recommandant de faire confiance aux boeufs, le labour étant définitivement leur domaine.
Mais le roi, terrifié par le caractère particulièrement acariâtre de la comtesse préféra la laisser faire à son idée.
Les boeufs, soutenus par le peuple et par les notables s'arrêtèrent de travailler et distribuèrent la récolte précédente au peuple.
Les métayers tentèrent de faire taire la révolte par des mesures de contraintes, mais rien n'arrêta la révolte des boeufs. Celle-ci gagna tout le royaume et le roi dût se résoudre à demander de l'aide au duc voisin.
Malheureusement, malgré toute la bonne volonté de ce spécialiste, la terre ne donna plus jamais une bonne récolte. La chienlit fut enlevée à la va-vite, les boeufs les plus vigoureux, échaudés par ce qu'ils avaient vécu, s'arrangèrent pour quitter ce domaine. Ne restèrent plus que les boeufs fatigués, résignés, mais désormais hostiles à leur métayer et de nouveaux boeufs, choisis pour leur docilité.
Et dans sa maison de campagne, nul doute que la comtesse savoure ses pommes de terre en vantant à ses convives la nouvelle manière de cultiver qu'elle a mise en place...
Bonsoir,
RépondreSupprimerBravo pour cette libelle qui dresse ma foi un portrait assez peu avantageux de votre hiérarchie...
Meilleurs messages.
Violaine Schwartz
De l'humour (la direction en est dénuée) et de l'imagination (elle lui fait cruellement défaut) pour traduire une remarquable vue d'ensemble (quand elle a des oeillères). Le tout exprimé sur un medium moderne et interactif (en face : des inepties gravées dans le marbre).
RépondreSupprimerQuand nous débarrassera-t'on de ces incapables tristes et arriérés ?
Dehors AdR, VHD et MM !
Le bœuf (c'en est forcément un), auteur de ce comte, a en lui toute la créativité pour nous sortir de l'impasse. Peut-être devrait-il se proposer pour reprendre la direction si les métayers ne veulent rien entendre de ce que pensent les bœufs. Lui au moins est au courant...
RépondreSupprimerMeuhMeuh à tous,
RépondreSupprimerMeuuuuuh tout spécial au poète,
Une vachette
Bravo et merci à l'auteur de ce conte, belle allégorie de notre réalité. Je veux croire que les "métayers entendent le cris des bœufs", pour sortir de cette situation aberrante...
RépondreSupprimerIl y avait encore derrière la charrue un système pour classifier les semailles, complètement superflu, très compliqué, certain bœufs en perdirent la tête.
RépondreSupprimerN'a-t-on pas oublié dans l'histoire, le fou du roi, qui au lieu de faire rire, joue au petit rapporteur à sa maman, ah, non hahahahah ?
RépondreSupprimerDans le ciel printanier se balade une étoile, dont la plus grande fierté est d'avoir participé à la voie lactée, bien que cela se soit mal terminé, car le ramage ne ressemblait en rien au fromage. Va-t-elle suivre la voix de son maître et se perdre dans les limbes DIS fonctionnelles, ou va-t-elle prendre son envol et rejoindre d'autres cieux plus cléments ? Une chose est certaine, elle n'a jamais annoncé Noël !
RépondreSupprimerQuel talent Madame la conteuse ou Monsieur le conteur ! Belle leçon !
RépondreSupprimer"Tous les contes de quelque époque qu'ils soient réfèrent à un printemps qui fait défaut [...]" (Quignard, Pascal, Abîmes, Paris : Grasset, 2002, p. 158). Vous devez tuer l'hiver de ce mauvais projet mal mené et faire advenir ce printemps faisant défaut. A mon avis vous êtes à bout touchant.
RépondreSupprimerUn professeur qui fréquente assidûment vos bibliothèques, les apprécie et qui vous soutient. Et je suis loin d'être le seul.
Les métayers espérant un titre de noblesse font fi de leurs savoirs et laissent faire, avec quelques haussements d'épaule et une résignation bien amère pour les bœufs, qui ont espéré un instant une alliance de compétences, il n'en fût rien, ils devinrent de tristes sirs, attendant un lopin pour nobéliser leur patronyme, rien ne vint avec l'automne, sauf un vent froid qui souffla sur les champs nus.
RépondreSupprimerQue dire de l'époux de l'intendante, si ce n'est qu'il avait le même précepteur que le roi. Y'a-t-il du corporatisme ou du népotisme dans les courants d'air glacés du château ?
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